Masochisme
« (…) Nous dessinerons cette fois une percée au moyen de la question du lien. Pas seulement du « ligotage », qui fait partie de l’abc de l’écriture de la perversion masochiste, cherchant à serrer le trait sur le corps, mais, si l’on peut dire, son côté sérieux, celui de l’engagement contractuel, sans lequel il n’est pas de masochisme conséquent.
Car le masochiste, cet « original », est tout sauf un improvisateur, il obéit au plus strict règlement, à condition de l’avoir lui-même institué – il n’obéit au fond qu’à cela, la volonté de l’Autre auquel il se soumet, sauf à ce que cette volonté arbitraire soit elle-même assujettie à une règle. (…) Or, nous connaissons par ailleurs une forme de contrat fondateur du rapport homme/ femme que l’on appelle « mariage » et nous constatons que ce lien de réciprocité de jure débouche assez régulièrement sur un assujettissement de forme masochiste de facto – ce qui s’observe chez ceux que l’on appelle « vieux couples », mais qui se présentent au fond comme les couples proprement dits, du moins si l’on met l’accent sur l’institutionnalisation du lien, qui promeut le « couple » à une dimension juridico-symbolique et en unit les membres (fût-ce dans la désunion), selon la lettre, jusqu’à la mort.
(…) Après tout, le « joug » – qui fait les délices du masochiste pratiquant – se retrouve au cœur du signifiant de la « con-jugalité ». Cet instrument auquel on attelle les bœufs mais qui, sous sa forme idéalisée, en vient à signifier le lien idéal. « Dire oui » au seuil du mariage, c’est bien assentir et consentir au joug réciproque, passant con-jointement son cou dans le joug, « pièce de l’attelage emboîtant le cou de l’animal ». (…) D’où, par extension figurée, la « contrainte qui pèse fortement sur qui la subit ». Le « joug du mariage » désigne dans la langue courante l’obligation morale ou sociale – d’où, soit dit en passant, l’extraordinaire mutation verbale qui en vient à parler de « droit au mariage » ! Droit à la contrainte, alors ? On en est pleine cacophonie, que la logique de l’inconscient vient éclairer, au-delà des turbulences de l’imaginaire social.
(…)
Le masochiste, qui fait profession de – et a vocation à – faire l’objet, se présente bien comme un sujet. Sujet singulièrement déterminé : s’il y en a un qui sait ce qu’il veut et qui organise au mieux les choses, c’est bien le masochiste. Et c’est « se faire avoir », certes, mais dans les formes, car c’est un organisateur né : son supplice n’a de sens que programmé par ses soins. (…) Le masochiste entre sur la scène de son supplice et de son ravalement systématisés en tant que sujet, il garde son statut de sujet et même le conforte par sa position assumée d’objet. Là où l’esclave et le serf étaient sans droits, jusqu’à leur émancipation, le masochiste revendique la servitude par le droit et comme sujet de droit. « Auto-réification » contractualisée.
In La passion du joug ou la servitude contractualisée, Paul-Laurent Assoun