Le récit enchâssé – Atala

Le récit enchâssé.

Atala, de François-René de Chateaubriand est un récit qui n’utilise pas un récit linéaire mais enchâssé, c’est à dire qu’il est raconté par un narrateur qui raconte une histoire que lui raconte encore un autre narrateur. Tout au long du récit je me suis demandé quel pouvait être l’intérêt d’une telle construction jusqu’au moment où Atala raconte son histoire.
Plus qu’un principe de « poupées gigognes », je vois plutôt une construction en cercles, un peu comme dans les enfers de Dante, dans laquelle le cercle le plus large est le moins défini et le cercle le plus petit, le plus dense et le plus riche.
Cette construction passionnante permet d’arriver au coeur du récit, du personnage principal, des émotions et des idées non pas de façon linéaire mais par cercles concentriques. Du reste, cette construction se prête bien au sujet religieux.

L’histoire

Chactas,  fils adoptif d’un chrétien nommé Lopez, a été fait prisonnier à l’âge de 20 ans par une tribu ennemie, mais Atala, une jeune Indienne d’éducation chrétienne, l’a sauvé. Ils s’enfuient tous deux à travers la forêt et un terrible orage les oblige à s’abriter sous un arbre. Après avoir longtemps erré, ils rencontrent un missionnaire, le père Aubry, qui entreprend d’unir Chactas et Atala par les liens du mariage en convertissant Chactas au christianisme. Mais la mère d’Atala, pour lui sauver la vie alors qu’elle n’était pas encore née, avait promis devant Dieu pour sa fille que celle-ci resterait vierge. Malgré l’interdit doctrinal énoncé par sa propre religion, pour ne pas succomber à la tentation de Chactas et rester fidèle à la promesse de sa mère, Atala s’empoisonne, malgré son amour pour Chactas. Avant de mourir, elle apprend qu’elle aurait tout de même pu se marier avec Chactas en « annulant » la promesse de sa mère. Atala demande également à Chactas de se convertir au christianisme pour s’unir à elle après la mort.

La construction du récit

Le prologue ouvre sur un type de scène dit « atmosphère » qui se caractérise par une faible action et est racontée par un narrateur omniscient. Puis sont introduits successivement Chatcas que l’on prend comme le protagoniste de l’histoire – narrateur –  et René le narrataire
On est encore dans un type de scène dit « Réaction » avec un niveau faible d’action, raconté par Chatcas, le protagoniste narrateur.

ACTE I

Chatcas commence à raconter son histoire et avec elle débute le récit à proprement parlé. On est encore dans l’Acte I car le protagoniste n’a pas défini son objectif.
Le héros est ensuite capturé  dans une scène de type « Crise » qui correspond à un niveau de tension élevé.
Pourtant, le héros est assez passif : il n’essaie pas de s’échapper et accepte la mort « en héros » ce qui définit bien son caractère. Mais comme le récit commence juste, on peine à le suivre dans son acte d’héroïsme.
Arrive la fille du roi qui est l’élément déclencheur.
Ce n’est pas tant le fait qu’elle le délivre que l’attrait qu’elle exerce sur le héros. De fait, l’auteur met en place, à l’insu des lecteurs et des personnages une préparation, cette technique qui consiste à placer des éléments presque invisibles dans le récit qui serviront par la suite.
« On remarquait sur son visage je ne sais quoi de vertueux et de passionné dont l’attrait était irrésistible »
C’est la définition même de ce que vit Atala et qui ne sera dévoilé qu’au moment de sa mort. Cet élément mortifère causera la perte d’Atala en même temps qu’elle est la source de son attraction. On est au coeur du romantisme avec ce mélange de mort, d’amour et de désir.
« Je crus que c’était la Vierge des dernières amours »
Dont on va découvrir, à la fin toujours, que c’est ce qu’elle est aussi, même si elle-même ne le sait pas à ce moment-là.

ACTE II

Avec l’arrivé d’Atala, l’objectif de Chatcas commence à se définir : demeurer avec elle.
En tant que fille du roi, Atala est d’abord une ennemie, une antagoniste. D’ailleurs, lorsqu’elle apprend qu’il n’est pas chrétien, elle l’abandonne. Mais finalement, retournement du rôle du personnage – pour l’instant considéré comme secondaire -, Atala l’aide à s’enfuir et devient une alliée.
Le baiser marque le début de l’acte II
Un premier obstacle, et de taille, revient gêner leur liaison : ils n’ont pas la même religion. Si l’on considère comme un objectif le besoin de Chatcas d’être aux côté d’Atala, Dieu est un obstacle.
Lors de la fuite, l’objectif change chez Chatcas : il devient volonté de s’unir à Atala.
De son côté, Atala change encore de rôle puisque son objectif est de ne pas succomber à son propre désir et donc de résister à Chatcas. Atala redevient l’antagoniste du désir de Chatcas.
Au moment où Chatacas s’apprête à atteindre son objectif – s’unir – et à Atala de s’y abandonner, dans un retournement sémantique très romantique Chatcas souhaite que son objectif ne soit pas atteint pour que la femme qu’il désire respecte le sien…
« Qui pouvait sauver Atala (…) Rien qu’un miracle sans doute »
Finalement, nouvel obstacle et victoire des antagonistes : Charcas se fait capturer. De nouveau, il se conduit en héros « Je ne crains point les tourments », ce qui ne contribue pas à le rendre – en terme littéraire – très interessant.
Atala libère ensuite Chatcas et cette opération se fait très facilement. Un Alexandre Dumas en aurait fait des pages… Ce n’est manifestement pas le sujet du livre… Mais alors quel est-il ?
L’auteur donne des indices aux lecteurs attentifs en créant un pressentiment dramatique : Atala, économe dans sa parole comparée à celle de Chatcas, pourrait bien être plus énigmatique qu’elle y parait.
« Oui, jeune idolâtre, ajouta-t-elle avec un accent qui m’effraya, le sacrifice sera réciproque »
Plus loin
« Je découvris bientôt que je m’étais trompé sur le calme apparent d’Atala. A mesure que nous avancions, elle devenait triste. (…) Ce qui m’effrayait surtout était un secret, une pensée cachée au fond de son âme »
Finalement, alors que Chatcas imaginait proche de la conclusion de son désir, l’obstacle que représente Atala se conforte «  »Eh bien, pauvre Chatcas, je ne serai jamais ton épouse », qu’exacerbe encore plus son objectif  « il fallait ou l’adorer, ou la haïr »
Mais les conditions de vie des deux personnages, jetés en pleine nature dans les bras l’un de l’autre lui redonnent espoir « Les forces d’Atala commençaient à l’abandonner et les passions, en abattant son corps, allaient triompher de sa vertu. »
Désormais, Chatcas est « brûlant de désir ». On est loin des sentiments éthérés des débuts. L’objectif, toujours repoussé se densifie et s’exprime avec plus de clarté.
C’est alors que nos deux personnages se découvrent frère et soeur. Cette révélation – coup de théâtre -, bien loin de représenter l’obstacle ultime, en tant que tabou de l’inceste, ravive le désir d’union. L’obstacle devient l’alié, l’adjuvant !
L’auteur a alors recours à un « deus ex machina », un hasard un peu forcé qui contraint les personnages à remettre, encore, leur plan à plus tard.
C’est l’apparition du père Aubry en mentor qui calme le jeu « A mesure que le solitaire parlait, je sentais les passions s’apaiser dans mon sein », pour mieux encore réveiller l’espoir dans le coeur de Chacras ; et je vous le donnerai pour époux quand il sera digne de l’être ». Aubry devient l’allié principal.
La révélation est contrebalancée par un pressentiment dramatique de plus en plus marqué : « Mais Atala devint pâle comme la mort ». Si le lecteur est alerté, le narrateur n’y prête pas attention : il parle désormais de sa « future épouse ». Tous les espoirs sont permis.
Puis c’est « le drame », le noyau central du récit qui va emmener le lecteur dans le coeur même de la problématique et propulser Atala comme la seule véritable héroïne de l’histoire, reléguer Chatcas au rang de personnage secondaire. Car c’est bien elle qui souffre le plus, qui vit le plus de conflits et qui se montre la plus héroïque – c’est la définition du personnage principal !
Et c’est là que la construction en cercles prend toute sa dimension : Atala ne nous est pas présentée comme personnage principal dès le premier acte car nous ne sommes pas dans un récit linéaire. Elle apparait au centre du récit dans sa forme, pas dans sa temporalité.
A ce moment du récit, c’est toute une histoire dans l’histoire qui se déroule avec son Acte I, l’objectif qui lui est imposé
« Elle promit à la Reine des Anges que je lui consacrerais ma virginité »
l’obstacle éternel et insurmontable
« Si tu ne tiens pas ta promesse, tu plongeras l’âme de ta mère dans les tourments éternels »
Et enfin la rencontre avec Chatcas Acte II, qui fait naître dans son coeur le désir même de rompre son voeu – situation cornélienne…
Puis Atala donne sa version de l’histoire récente, de sa fuite avec Chatcas, devenant elle-même narratrice, nous éclairant différemment sur les événements et, ce faisant, l’auteur dresse un portrait bouleversant d’une femme totalement prisonnière.
Rebondissement, qui permet au lecteur de croire en une fin heureuse : le père Aubry peut lever la malédiction mais, coup de théâtre : Atala s’est empoisonnée.
Mais avec la mort d’Atala, l’objectif de Chatcas ne faiblit pas puisqu’il y a la promesse de s’unir par-delà la mort…

 

Acte III

Atala est inhumée et Chatcas part.

Epilogue.
Dans la mesure où le personnage principal est mort, la suite de l’histoire ne pouvait se faire que dans une partie à part et c’est bien le rôle de l’épilogue. On a remonté les cercles depuis leur centre jusque’à la périphérie et on revient dans le temps linéaire qui est celui des hommes… et non plus de Dieu.
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