L’évolution du personnage principal – Dorian Gray
Au cours du récit, votre personnage principal sera amené à se transformer et cette évolution pourra être positive… comme négative
Nous avons vu dans l’article consacré à Dom Juan que votre personnage principal n’est pas obligé de changer. Il existe de nombreuses histoires au cours desquelles le héros reste le même. Dans La Modification de Michel Butor, le personnage central prend en définitive une décision qui le ramènera à soin point de départ.
Mais si vous décidez de faire évoluer votre personnage au cours du récit, vous vous assurez sans doute une empathie plus grande avec votre lecteur. L’évolution permet de mesurer avec plus de netteté le chemin parcouru à la fin de votre histoire.
Le portrait de Dorian Gray
L’histoire
ACTE I
Le beau Dorian Gray, un jeune dandy londonien d’une « simple et belle nature » contemple son portrait réalisé par le peintre Basil Hallward en compagnie de Lord Henry, un aristocrate mondain et hédoniste. Au cours de la discussion, Lord Henry se désespère du caractère éphémère de la beauté. Bientôt, Gray sera vieux, laid, repoussant et sa grâce aura disparue.
Finalement, les prévisions de Lord Henry contaminent le jeune et influençable Gray qui finit par exprimer ce souhait :
Si c’était moi qui toujours devais rester jeune, et si cette peinture pouvait vieillir !… Pour cela, pour cela je donnerais tout !… Il n’est rien dans le monde que je ne donnerais… Mon âme, même !
Notre héros formule ainsi un objectif – présenté sous la forme d’une espérance, d’un souhait – et ce faisant, lance l’action du second acte.
ACTE II
Plus tard, Dorian tombe amoureux d’une comédienne, Sybyl Vane dont le jeu le fascine. Mais lorsqu’il invite le peintre Basil Hallward et Lord Henry à assister à l’une de ses représentations, la comédienne se montre affreusement mauvaise : les sentiments qu’elle éprouve pour Gray la paralyse. Déçu et humilié, Dorian l’abandonne. Elle se suicide.
Et cependant je me rends compte que je ne suis affecté par cette chose comme je le devrais être ; elle me semble simplement être le merveilleux épilogue d’un merveilleux drame. Cela a toute la beauté terrible d’une tragédie grecque, une tragédie dans laquelle j’ai pris une grande part, mais dans laquelle je ne fus point blessé.
Bien loin d’éprouver le moindre remord, la mort de Sybyl Vane laisse Gray insensible. C’est alors qu’il découvre sur le portrait peint, la marque de sa cruauté, tandis que son vrai visage reste inchangé.
Son objectif est donc atteint dans le premier tiers du récit, comme dans Faust, et même, techniquement, dès les premières pages. Il a seulement fallu un peu de temps à notre héros pour le découvrir.
En apparence, donc, Dorian Gray n’évolue pas. Pour les autres seulement. Car derrière la façade de cette beauté immuable, notre héros s’enfonce, jour après jours, dans une immoralité qui le conduit même au crime.
« Sauver les apparences » devient alors son nouvel objectif. L’enjeu étant, pour lui, de ne pas être reconnu comme meurtrier. Ce refus d’assumer ses actes et de laisser payer son portrait peint à sa place empêche toute empathie – me semble-t-il – vis à vis du personnage. On est loin d’un Dom Juan, héros détestable également, mais qui assume sa position morale d’une manière plus franche – même si sa solution consiste en une fuite en avant.
Le défaut moral
Le portrait de Dorian Gray illustre également un outil narratif cher à John Trubi : le défaut moral du héros. Selon le célèbre théoricien, en cherchant à atteindre son objectif, le personnage principal va commettre un certain nombre d’actions amorales qui déclencheront des conflits. Oscar Wilde en fait même ici, le sujet même du livre.
Finalement, Dorian ne peut plus se supporter – autant son portrait dégradé que son véritable et immuable visage parfait. Il lacère la peinture…
Acte III
… et meurt.
Gray reprend alors son apparence normale, celle d’un vieillard boursouflé et enlaidi par le crime et le vice. Ses gens, qui ne le reconnaissent pas, finissent pas l’identifier grâce à ses bagues, seuls biens en ce bas-monde appelés à demeurer inchangés…
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